En complément de ce post, un éditorialiste du Guardian pousse aujourd'hui le raisonnement d'une maière excessive mais néanmoins stimulante :
How the neoliberals stitched up the wealth of nations for themselves
Au-delà de l'excès rhétorique, et malgré les risques que comporte le raisonnement énoncé dans cet article, il n'en reste pas moins que les années 80 et suivantes ont vu un changement manifeste dans les idées économiques dominantes. Ceci est particulièrement vrai dans les pays anglo saxons, même si dans ces pays une véritable critique keynésienne a subsisté. En France, la tendance a été subie mais ne s'est pas exprimée de la même manière, la droite et la gauche restant confites dans leurs marxisme et poujadisme respectifs. En l'absence d'un courant keynésien (centre gauche façon US moderate democrat) indépendant des délires socialistes, et d'un discours libéral de la part de la droite, le débat français n'a pas vraiment eu lieu.
La principale justification de cette "revanche de smith sur keynes" (pour reprendre le titre d'un article de l'expansion paru à la fin des années 80) a été la longue période de croissance soutenue que le monde a connu depuis la grande désinflation. Après tout, peu importait l'idéologie, on ne change pas une recette qui marche.
C'est ce qui fait tout l'intérêt des débats actuels sur l'inégalité croissante que rencontrent les sociétés post industrielles : si le libéralisme est justifié par la croissance, mais que cette dernière ne profite qu'à une élite restreinte, la politique entre en jeu et demande soit une remise en question du dogme, soit une remise en question des mécanismes de la redistribution.
La remise en question du dogme ne semblant ni souhaitable ni possible, il reste la question de la redistribution. Dans des pays comme la France ou les pays nordiques, elle subsiste à un niveau élevé, mais est menacée. Dans les pays anglo saxons, elle est faible et diminue d'année en année (et a été particulièrement attaquée aux US par les mandats Bush), mais il semble que le mouvement ait commencé à s'inverser : à la suite de Blair au RU, les démocrates semblent partis pour reprendre l'initiative dans ce domaine.
En bref on pourrait dire que, pour être politiquement tolérables, les conséquences du libéralisme doivent être mitigées par une redistribution significative (les deux n'étant pas a priori incompatibles). Cela suppose, cependant, que tous les pays industrialisés jouent un jeu similaire (les coûts salariaux français ne seront jamais compétitifs avec ceux de la Chine, mais doivent pouvoir l'être avec ceux de nos partenaires occidentaux, il en va de même des prélèvements sur les revenus du capital). Si des pays comme la France veulent pouvoir conserver leur modèle (moyennant les ajustements nécessaires, qui ne sont pas anecdotiques), il est impératif que leurs partenaires viennent à admettre la nécessité d'une redistribution. Si les US ou le RU persistent dans la voie qu'ils on choisie, il reste peu d'espoir et il faudra vivre avec les conséquences politiques d'une société de plus en plus inégalitaire (ce qui n'est pas en soi un problème) où les inégalités seront de plus en plus héréditaires (ce qui est une tragédie).